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Werdok dans l'Isoloir
28 mars 2007

Bayrou, une posture difficile à tenir

Dans l’interview de ce jour dans le Figaro (pour la 2e partie), François Bayrou éclaire nos lumières sur ses choix, ses idées, son programme. Une interview qui devrait permettre à chacun de se faire une idée du candidat Bayrou. J’ai bien conscience que l’interview est publié dans le Figaro qui n’a pas forcément intérêt à vendre du Bayrou, mais quand même. Reprenons les différents points de l’interview

Son positionnement

Un positionnement grotesque « ailleurs », voire en dehors du pouvoir. De la part de quelqu’un qui fréquente les ministères, qui soutenait Juppé en 95 puis Raffarin/Villepin depuis 2002. Je n’irais pas jusqu’à ce que raconte Sarkozy, candidat de la rupture, qui rend par contre Bayrou comptable du gouvernement depuis 5 ans. Mais pour quelqu’un qui dit qu’il veut faire exploser le système, c’est assez incohérent avec le comportement de son parti et son propre comportement depuis 5 ans, à l’Assemblée et surtout au Sénat.

« Nicolas Sarkozy et Ségolène Royal veulent tous les deux perpétuer ces vingt-six années-là »

Et qu’a-t-il fait pour contrecarrer cela ? Combien de fois il a l’occasion de renverser le gouvernement ou de créer « la crise » en rejetant un texte de loi durant les 5 dernières années ? Sans jamais se mouiller et voter contre un texte de loi qui risquait de ne pas passer. Qui a-t-il soutenu en 88 et 95 ? Grace à quel système est il élu depuis toujours à l’AN ?

« On voit aujourd'hui éclater au grand jour leur entente. Compère et Commère veulent que, surtout, rien ne change. Ils ont les mêmes thèmes, les mêmes mots. Ils vont même se mettre d'accord pour être en désaccord. Pour être assurés au moins d'une chose, que le pouvoir se joue entre eux »

On dirait du Le Pen dans le texte ! Gauche/Droite, c’est pareil, c’est l’Etablissement… Décidément, les voix de Le Pen ont des prétendants.

« Quand Ségolène Royal rappelle sa proposition « d'ateliers de couture dans les écoles, où les élèves auraient pu réaliser des drapeaux », je me demande où est

la gauche. Et

à droite, quoi de plus éloquent que le dictionnaire de citations de Nicolas Sarkozy, Jaurès, Blum, Rimbaud, pourquoi pas Castro ou Che Guevara, avant de refaire le ministère de l'Immigration et de l'Identité nationale ? »

Même remarque que précédemment… Si il veut, je peux lui expliquer la différence entre la gauche et la droite que ce soit la fiscalité, l’immigration, l’éducation, le travail… Au-delà des postures artificielles.

Sa majorité pour gouverner

Une majorité floue. C’est le reproche que lui font ses adversaires, mais franchement, cela a l’air flou dans sa tête aussi. Sans parler que toutes les personnalités dont il évoque un jour le ralliement possible se tournent vers leur propre camp : DSK, Delors, Borloo… Bref, pour lui, la France est en crise et la seule façon de résoudre la crise, c’est de parier que son élection provoquera un électrochoc. D’ailleurs, Bayrou ne s’engage plus puisqu’à la question sur la possibilité de réintégrer De Robien, il élude parfaitement

la question. Cela

dit, connaissant la course à l’échalote de certains politiques, on ne peut pas exclure une majorité présidentielle de ralliés alimentaires. « À un gouvernement dans lequel travaillent ensemble des gens du centre, des gens venus de l'UMP, des gens venus du PS et des écologistes »

Sans oublier une petite allusion à la situation politique américaine avec un auto-positionnement positif en se présentant comme le camp Démocrate en Europe, mais qui demande à être confirmé par les faits. Pas sûr que tous les amis de Bayrou se reconnaissent plus dans Hillary Clinton que dans Georges Bush.

« S'il vote pour un changement aussi profond, cinq semaines plus tard, il donnera à ce changement la base électorale dont il a besoin. »

C’est un joli pari sur l’avenir. Surtout si il est élu « par défaut » simplement parce qu’il aura été présent au 2e tour. Contrairement à 2002 où Chirac était en tête, Bayrou peut être élu avec une vingtaine de pourcents des voix au premier tour et une base électorale pas plus large. Simplement parce que l’un des deux gros aura plus perdu. De la à supposer que ce sera un changement profond, je suis loin d’en être sûr. Quant à la cohérence du vote des français….

« Ce sera une majorité ouverte. Si je suis élu, je proposerai à des personnalités venues de sensibilités différentes de travailler ensemble pour sortir le pays de la crise »

Son programme

Un programme innovant, audacieux et moderne… Heu, non, en fait, je rigole. Surtout ne pas trop s’avancer pour ne pas s’engager…

Par exemple sur l’immigration, ses propositions sont tellement minimales que même De Villiers les a dans son programme (Aide à l’Afrique…) voire aussi répressives que Sarkozy (« Le regroupement familial a été restreint. Beaucoup. A-t-on obtenu les résultats promis ? Appliquons les lois avant de les changer. ») en tout cas, aussi anxiogènes que celle de la droite (« Y a-t-il beaucoup moins de sans-papiers en France ? Je n'en ai pas l'impression. » malgré un « Jouer sur cette peur, c'est rendre plus difficile l'intégration » quelques questions auparavant, posture typiquement centriste)

Sur les droits des homosexuels, ses positions sont tout aussi audacieuses et modernes : « Soyons compréhensifs et pas réactionnaires » si, si. Soyons audacieux aussi. « Je pense qu'il faut reconnaître un lien, non pas de filiation, mais d'éducation vis-à-vis de l'autre parent. C'est possible par le biais de « l'adoption simple » qu'il faudra peut-être adapter. Et je n'ai pas l'impression de secouer les piliers de la société en disant cela. » Pour la dernière phrase, je suis d’accord… « Je ne suis pas favorable au mariage gay, mais plutôt à une union civile qui porte des droits équivalents, notamment de succession » Bref, des droits à minima par rapport à l’évolution de la société actuelle. Là aussi, il ne doit y avoir que De Villiers et Le Pen qui sont plus rétrogrades.

Autre sujet de société et autres électeurs à draguer (mais sans se couper de ses convictions ou de sa base, travail difficile) : les écolos. Donc sur l’EPR (pas sur le nucléaire, hein, puisque ce n’est pas négociable d’après ce qu’il a dit à Lepage et Waechter lors de leur ralliement), « Cela mérite qu'on regarde si l'EPR est un vrai progrès ou pas. Il faudra conduire le débat à son terme sans tarder. » Bien, voilà un engagement fort ! Pareil sur les OGM : « Je suis pour un moratoire [NDA : sur quoi, la culture, les essais en plein champ, la recherche ?]. Ce qui est frappant, c'est l'absence de parole scientifique sur cette question qui mérite un grand débat. Il faut se tourner vers l'Académie des sciences, vers des experts pharmacologiques, pour que l'Assemblée puisse s'exprimer. » Outre le flou de la proposition, notons qu’il se contente de renvoyer le débat à l’Assemblée après consultation des experts… mais que les citoyens n’ont guère leur mot à dire. Sans parler que visiblement, il ne compte pas regarder ce qu’il s’est passé autour de nous, ne serait ce que de l’autre coté du Cirque de Gavarnie, en Aragon.

Parlons enfin Economie.

A propos de l’une des seules mesures précises de son programme (les 2 emplois sans charge pendant 5 ans), « Chaque fois que l'on propose une idée nouvelle, des experts disent que ça ne sert à rien. Leur logique, c'est de ne jamais rien changer. » Mis à part les relents poujadistes sur le rôle des experts, cela me parait bien réducteur des réactions des uns et des autres sur le sujet. Après, dans sa réponse, il interpelle les chefs d’entreprise en leur demandant ce qu’ils en pensent. Demandez à un enfant ce qu’il pense du Père Noel. Personnellement, je pense que ce genre de mesure est dans la droite ligne de ce qu’il se fait aujourd’hui : faire payer beaucoup l’Etat pour quelque chose qui n’a qu’un impact minimal. Tel le CNE dont la plupart des contrats aurait été signés sans ça. Notons qu’il souhaite l’évaluer au bout de 2 ans… Vu les réactions sur le bilan du CNE, il y aura autre chose que les partis à changer pour rénover la politique : c’est la bonne foi des gouvernants.

Et alors qu’il regrette plus haut que la France suive les Etats-Unis sur l’esprit patriotique et les petits drapeaux, il défend de nouveau son autre proposition forte, le « small business act » qui se heurte à l’opposition de l’UE… UE qui « ne doit pas se résumer au culte de la concurrence » Heureux de l’apprendre de la bouche du président du parti du commissaire Jacques Barrot… Sa position sur

la fusion Suez

/Gaz de France est toujours autant équilibriste « Je ne suis pas pour la privatisation de Gaz de France » et « À l'origine, j'étais favorable à un rapprochement avec EDF. Mais aujourd'hui, il y a beaucoup de réticences dans les deux entreprises. Est-ce encore possible ? » Sans parler de « on voit bien que c'est un secteur où l'État n'a pas à replier son drapeau. » ce qui dans la bouche d’un européen convaincu fait un peu désordre. Cela dit, je comprends que la position à propos du gaz soit difficile à tenir : entre envie d’Europe et protectionnisme national (et je ne parle pas uniquement de la France, mais l’Espagne ou l’Italie ont eu les mêmes réflexes) ; entre étatisme et libéralisme (face au cas Gazprom en particulier)…

Enfin, finissons par la position novatrice de François Bayrou sur le contrat de travail « Le contrat de travail classique, ce devrait être le CDI avec une période d'essai suffisante, de l'ordre de deux fois trois mois. » !

Pour conclure, François Bayrou est le candidat du changement, pour faire exploser le système français et sortir la France de la crise… Car tout va mal en France à cause de 25 ans de pouvoir qu’il a soutenu (j’exagère un peu, il n’y avait pas de centriste au gouvernement entre 81 et 86, mais les ministres d’ouverture de Mitterrand sont pour la plupart chez Bayrou aujourd’hui, et il appelle de ses vœux des DSK qui ont fait les beaux jours du gouvernement Jospin entre 97 et 2002) mais qu’il dénonce aujourd’hui. Et comme la France est en crise, finalement, il pense qu’il ne faut changer grand’chose (là aussi, j’exagère, mais que ce soit sur GDF, le contrat de travail, les OGM, le nucléaire, l’immigration, on ne peut pas dire que ses positions sont les plus tranchées avec la situation actuelle).

Bref, plus le temps avance, plus j’écoute François Bayrou et moins je comprends comment des gens qui se disent de gauche peuvent trouver leur intérêt dans son discours. Et surtout moins je comprends que les médias ne le mettent pas devant les insuffisances, voire incohérences de son bout de programme. En un mot : devant l’usurpation de sa posture actuelle.

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